Articles les plus consultés

jeudi 31 juillet 2014

Il se souvient de la guerre qui a décimé sa famille



André Jutand montre les photos de son grand-père, mort à la guerre et de sa grand-mère.
La Grande Guerre a privé André Jutand de son grand-père et de ses grands-oncles. Cent ans après, il se souvient.
Derrière ses lunettes, André Jutand relit attentivement les six pages doubles qu'il a écrites « pour le journaliste ». Il ne veut surtout rien oublier du contexte et de l'histoire de sa famille, terriblement marquée par la Grande Guerre dont on célèbre le centenaire.
A bientôt 87 ans, les souvenirs sont parfois infidèles. D'autant plus quand ils évoquent une période qu'on n'a soi-même pas connue. Pourtant, il en a entendu parler de cette Der des ders. Au moins à chaque fois que ses parents allaient fleurir la tombe du grand-père à Naintré, berceau de la famille.
" Il leur a dit que jamais plus ils ne le reverraient. C'est ce qui s'est produit. "
Ce grand-père, Jules Jutand, premier de la famille à être tombé au front, à l'âge de 37 ans. C'était le 29 septembre 1915 dans la forêt d'Argonne. « Il a été tué d'une rafale de mitrailleuse à la sortie de la tranchée, raconte André. Il n'a pas souffert. » Une assurance qu'il tient du seul écrit qui raconte ce grand-père disparu bien avant sa naissance. « C'est la lettre d'un de ses camarades qui a expliqué à ma grand-mère les circonstances de sa mort. Ils s'étaient fait la promesse de prévenir les proches de l'autre en cas de malheur. » Aimée, la veuve de Jules, restera donc seule à élever ses trois enfants, Marcel – père d'André –, Maurice et Germaine.
Et elle verra les hommes de sa famille disparaître les uns après les autres : Alphonse, le frère de Jules, en 1918, un de ses gendres, Daniel Debroux, en 1915 dans les Dardanelles, Charles Poux, son beau-frère, en 1917. Même Henri Poux, un autre de ses beaux-frères, revenu du front, gazé, décède en 1920. Elle aura même la douleur de perdre sa fille de 13 ans morte de la tuberculose en 1920.
André en a gardé des histoires poignantes que se sont passées les générations, comme celle de Charles Poux. « Il avait été blessé une première fois, il est revenu pour huit jours à Naintré. Il ne voulait pas repartir, il pleurait. Ce sont ses neveux qui l'ont ramené au train. Quand il est monté, il a baissé la fenêtre du wagon pour leur dire que jamais plus ils ne le reverraient. C'est ce qui s'est produit. »
Tous les corps ont été ramenés à Naintré, Thuré ou Antoigné. « Celui d'Alphonse est revenu avec des bistouris. Il était blessé et un obus est tombé sur l'hôpital. Ils ont tout ramené en même temps. »
Les noms sont inscrits sur le monument aux morts de Naintré, lieu de pèlerinage familial. « Mon père entretenait le devoir de mémoire, explique André. On y amenait des chrysanthèmes tous les ans. » Le centenaire de la Grande Guerre dont on célébrera le démarrage samedi le replonge dans son histoire. « Ça remue tous mes souvenirs. J'ai été élevé dans la haine de l'ennemi venu d'au-delà du Rhin qui n'acceptait pas que la France se soit dotée d'une République. Maintenant, grâce à l'Europe, mes petits-enfants ont la chance de ne plus parler de " boche ". »
Il n'a rien prévu de particulier pour raviver, un siècle après, son histoire familiale. Juste ira-t-il fleurir les tombes de ses aïeux. Encore une fois.
Laurent Gaudens

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire